Les mantes attaquent les oiseaux, parfois.

Texte : Pierre André, biologiste

Photo : Maxime Aubert

Bien installée sur un abreuvoir, à l’affut, une mante attend patiemment sa proie. Approche un colibri. Elle étire avec une rapidité déconcertante ses pattes ravisseuses et vlan… l’oiseau est capturé. Elle mord la tête et consomme. Il meurt en quelques secondes.

Nous savons que les femelles de mantes dévorent à l’occasion la tête de leur partenaire durant ou au terme de l’accouplement. Ce comportement aurait pour effet de couper un nerf dont le rôle est « d’inhiber les mouvements sexuels du mâle ». Ainsi, et même étêté, celui-ci continue à bouger l’abdomen (Espace pour la vie).  Plus rares sont ceux qui savent qu’elles peuvent aussi s’attaquer aux oiseaux et qu’elles seraient friandes de leur cervelle. Un texte écrit par Natalie Angier, paru ce 22 septembre 2017 dans la section Science sur NYTimes.com, a stimulé ma curiosité. Je vous propose ici le fruit de mes lectures. Cœurs sensibles, s’abstenir.

Une première synthèse

Dans un article publié plus tôt cette année, auquel référait d’ailleurs Mme Augier, Martin Nyffeler et ses collaborateurs (voir l’article) dressent un portrait de cette prédation à prime abord surprenante. Ils rapportent 147 événements de ce type survenus dans 13 pays et sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique où les mantes sont absentes. Les prédatrices appartiennent à 12 différentes espèces de Mantides réparties dans 9 genres. Elles ont capturé de petits oiseaux de l’ordre des Apodiformes (ex. les martinets et colibris) et des Passériformes (ex. les tyrans et les parulines). Les oiseaux capturés par les mantes appartiennent à 24 différentes espèces. Plus de 70% des événements rapportés sont survenus aux États-Unis, alors que les colibris, principalement le colibri à gorge rubis, allaient s’abreuver ou butinaient les fleurs.

Les mantes sont généralement insectivores. Il n’empêche qu’elles s’en prennent occasionnellement aux vertébrés. De telles attaques ont été rapportées sur des reptiles et des amphibiens, sur des micro-mammifères et sur des oiseaux.

Les chercheurs ont eu accès à l’information ou ont pu identifier l’espèce de mante impliquée pour 72 des cas répertoriés. Environ 75% d’entre eux sont dus à 3 espèces qui sont Tenodera aridifolia sinensis (25 cas  aux USA), Mantis religiosa (19 en Espagne et aux USA) et Stagmomantis limbata (10 aux USA). La majorité des mantes en cause dans ces événements avaient une masse supérieure à 7 grammes, alors que les espèces de colibris pesaient plutôt entre 3 et 6 grammes.

Comment procède la mante pour capturer un oiseau?

Les chercheurs relatent que, lorsque la proie s’approche à distance d’attaque (5-10 cm), la mante déploie rapidement ses fortes pattes antérieures munies d’une double rangée d’épines redoutables (appelées pattes ravisseuses, voir Les pages entomologiques d’André Lequet) tout en restant bien accrochée à l’abreuvoir ou à la plante avec ses 2 autres paires de pattes. Elle retient fermement l’oiseau qui parfois réussit à s’échapper. Quand ce n’est pas le cas, elle commence immédiatement à se nourrir. La mort survient en l’espace de quelques minutes. Dans les deux tiers des cas répertoriés, les morsures ont eu lieu à la tête, au cou ou à la gorge. Dans plusieurs de ces cas, la mante a consommé… la cervelle de l’oiseau.

La mante aurait-elle une préférence pour attaquer la tête et se nourrir de cervelles? Les chercheurs estiment que des recherches seraient nécessaires pour répondre à cette question. Ils se demandent également si les techniques de captures varient selon les espèces en cause. Pour observer une attaque sur vidéo, cliquer ici.

Pourquoi y a-t-il plus d’événements rapportés en Amérique du Nord?

Nyffeler et ses collaborateurs identifient trois raisons.

  1. C’est en Amérique du nord que l’on retrouve le plus d’espèces de colibris de petites tailles et d’espèces de mantes de grande taille;
  2. L’installation d’abreuvoirs et de plantes riches en nectar pour attirer les colibris fait en sorte de rapprocher les observateurs de la scène d’éventuels événements;
  3. Les mantes de grande taille des genres Mantis et Tenodera, espèces introduites, ont été relâchés au travers les États-Unis pour le contrôle biologique d’espèces indésirables des jardins au cours des années 1900. Mentionnons au passage qu’en  2009 et peut-être encore aujourd’hui, il était possible de se procurer, pour le Québec, des mantes religieuses en magasin, tout comme des coccinelles et des nématodes (Gingras, 2009) . Ces mantes se sont bien installées, en particulier dans le sud-est américain. L’efficacité de ce mode de contrôle biologique est plutôt mitigée, la mante ne sachant distinguer les insectes nuisibles des insectes utiles.

Ces espèces exotiques sont responsables de 58% des incidents rapportés de prédation sur les oiseaux, contre 42% par des espèces indigènes. Elles n’en n’ont donc pas l’exclusivité.

Y a-t-il des cas connus de telles prédations au Québec?

Au meilleur de ma connaissance, aucun cas n’a été rapporté à ce jour. L’événement pourrait toutefois survenir, car nous trouvons sur notre territoire les deux espèces non indigène de mantes qui ont été le plus souvent mentionnées pour de telles prédations, ainsi que l’espèce de colibri la plus piégée. Il s’agit de la mante religieuse, M. religiosa, et de la mante chinoise, T. a. sinensis. Cependant, les mantes sont peu fréquentes chez nous et elles sont présentes surtout dans le sud-ouest de la province (Les insectes du Québec). De telles attaques sont donc peu probables.

 

Mante religieuse: « C’est une espèce holarctique. Elle a été introduite d’Europe en Amérique du nord en 1899. On la trouve actuellement dans l’est du Canada (Ontario, Québec) ainsi qu’en Colombie-Britannique, mais aussi en Europe du sud et centrale, particulièrement autour du bassin méditerranéen. On la retrouve également en Afrique et en Asie. » (Espace pour la vie)

Mante chinoise: « Cet insecte est originaire des régions tempérées d’Asie. Il a probablement été introduit dans l’est des États-Unis, après quoi il s’est répandu à travers le pays. Au Canada, on le trouve dans le sud du Québec et de l’Ontario. » (Espace pour la vie)

Conclusion

Cette étude synthèse publiée en 2017 est une première. Les auteurs ont recueilli les événements dans la littérature publiée (33%) ainsi que sur les médias sociaux (67%). Si les mantes attaquent les oiseaux, cette prédation est loin d’avoir un effet significatif sur les populations. Elle demeure très marginale. Ces attaques ont défrayé et défrayeront encore les manchettes. Nous en entendrons sûrement reparler.

Source

Nyffeler, M., M.R. Maxwell et J. V. Remsen, Jr. (2017). Bird predation by praying mantises: a global perspective. The Wilson Journal of Ornithology 129(2): 331-344 | DOI: 10.1676/16-100.1