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Ornitho 101 – Les grives

Furtives dans la pénombre, les grives s’observent difficilement. Leur identification génère souvent des discussions entre les observateurs. Que faut-il regarder? Comment les distinguer? Voilà le sujet de cet Ornitho 101.

Texte : Pierre André

Photos : Louise Auclair, Luc Laberge, Marc Boisvert et Suzanne Labbé

Les grives sont des oiseaux de la taille d’un merlebleu de l’Est, légèrement plus petites qu’un merle d’Amérique. Elles vivent et se reproduisent dans les forêts. Nous les observons souvent dans la pénombre, sous un éclairage difficile. Furtives, elles se distinguent des autres oiseaux par leur dos brun ou roux de différente teinte, par leur poitrine et leur ventre blanchâtre ou grisâtre garni de taches plus ou moins bien définies et étendues. Il n’est pas surprenant que leur identification soit difficile.

Pour accroître les chances de bien identifier les individus sur le terrain, il faut savoir quoi regarder, quelles questions nous poser.

  1. Le dos est-il de la même couleur de la tête à la queue?
  2. Quel est le niveau de couverture des taches sur le devant de l’oiseau? De quelle forme et de quelle couleur sont-elles?
  3. La face de l’oiseau est-elle rayée, rousse uniforme ou grise? Y a-t-il un cercle oculaire et un lore bien visibles et de quelle couleur sont-ils?
  4. L’oiseau a-t-il un comportement particulier? Par exemple bouge-t-il toujours la queue?

Il est beaucoup plus fréquent d’entendre les grives que de les voir. Leur chant est flûté, ascendant ou descendant, avec de beaux trilles et quelques variations. Leur cri est aussi typique des espèces.

Nous présentons brièvement ci-dessous chacune des 6 espèces de grives du Québec ainsi qu’une fiche synthèse qui collige leurs principales caractéristiques. Les hyperliens liés au nom des espèces, vous permettent d’accéder à la page pertinente sur eBird pour regarder d’autres photos, visionner des vidéos et entendre les enregistrements des chants et des cris. Ces courtes descriptions sont construites à partir de mes propres observations et de mes lectures sur eBird et dans plusieurs livres et guides d’observation (Paquin et Caron, Peterson, Stokes, Bird et Denault, Sibley ainsi que Pieplow – petersonbirdsounds.com pour les chants).

Grive fauve

Cette grive au cercle oculaire mal défini a le dos, la tête et la queue brun-roux. Sa poitrine est la moins tachetée des grives. Les taches sont mal définies, délavées et concentrées sur le haut de la poitrine. Son chant fluté consiste en une spirale descendante de notes parfois précédée d’une note étirée et ascendante (contrairement à la grive solitaire dont la 1ère note est uniforme). Son cri principal est un ziou et vriou.

Grive à joues grises

Chez la grive à joues grises, le cercle oculaire est mal défini, la base du maxillaire inférieur est de couleur chair et la face, gris uni. Sa poitrine blanche est rarement chamoisée. Les taches sont bien définies sur la poitrine jusqu’au haut du ventre. Son dos est brun-gris de la tête à la queue. Son chant rappelle celui descendant de la grive fauve, tout en étant plus complexe, plus enroué et plus aigu et grinçant. Son cri est un kwiir, un vriir, un viiur ou piiou aigu, perçant et parfois répété.

Grive de Bicknell

Rare et craintive,  la grive de Bicknell a le dessus brun-gris terne, de la tête à la queue, avec des teintes roussâtres ou havanes sur les ailes et la queue (visibles sous conditions optimales de lumière). Sa poitrine délavée et chamoisée est tachetée jusqu’au haut-ventre.  Son anneau oculaire est mal défini, sa gorge est grise et la base de son maxillaire inférieur est jaune-orangée. Son chant descendant est semblable à celui de la grive à joues grises dont il se distingue par une note finale ascendante, qui s’étire parfois en trille. Son cri consiste en un viiur étiré ou un psîou aigu, perçant et court.

Grive à dos olive

Cette grive a le dessus brun-olive, de la tête à la queue. Le cercle oculaire et la face beige clair la distingue des autres grives. La poitrine, au haut chamoisé, est couverte de taches noirâtres bien définies qui s’estompent sur le ventre. Le chant flûté se compose de notes claires et ascendantes. Son cri est un pouet sifflé, très court rapide et répété, qui rappelle le bruit d’une goutte d’eau.

Grive solitaire

Le dessus brun de cette grive contraste avec sa queue rousse. Mince et complet, son cercle oculaire bien défini est blanc, pas beige comme chez la grive à dos olive. Les taches foncées de la poitrine couvrent la poitrine et un peu le haut du ventre. C’est la seule grive à bouger fréquemment la queue.  Son chant fluté débute par une note uniforme qui s’étire, qui ne monte ni ne descend. Les phrases, consécutives et toutes différentes, changent constamment de tonalité. Son cri correspond à un ouin plaintif qui s’étire et un tchoc sec, grave et souvent répété.

Grive des bois

La grive des bois est la plus grosse et la plus tachetée de son groupe. Son cercle oculaire complet, bien défini et blanc se joint à un lore de même couleur. Sa tête est rousse, ses joues grises sont rayées. Sur la poitrine et le ventre blancs s’étalent de nombreuses taches sombres et arrondies. Son dos est brun-roux, plus pâle sur la nuque et plus foncé sur le croupion et la queue. Son chant mélodieux se compose de trois parties, la troisième se terminant généralement par un trille plus aigu que les parties précédentes. Son cri est un rapide et puissant pit-pit-pit ou ouit-ouit-ouit, ou encore un tchoc-tchoc-tchoc sec et répété.

Conclusion

Pour synthétiser le tout, voici une fiche qui collige les différentes caractéristiques visuelles et vocales des grives du Québec. N’hésitez pas à la commenter cette version 1.p

Remerciements

En grand merci à Louise, Marc, Luc et Suzanne pour les belles photos qui donnent de la vie à cet article. Merci à Luc pour les multiples randonnées durant lesquelles nous discutons d’identification. Finalement, merci à Johanne pour la révision du texte.

Le chardonneret élégant, une espèce exotique de plus en plus présente au Québec.

En ce mois de janvier 2023, un chardonneret élégant (Carduelis carduelis) a été observé à Laval. Il s’agit d’une autre mention pour cette espèce exotique, qui figure bon an mal an sur au moins un feuillet eBird d’observateurs du Québec depuis 2010. Je résume dans cet article le fruit de mes recherches sur l’origine et l’établissement possible de cette espèce dans l’est nord-américain.

Texte: Pierre André

Photos: Louise Courtemanche et Luc Laberge

Passereau indigène d’Europe, d’Asie occidentale et du Maghreb, le chardonneret élégant apparaît assez régulièrement dans la région de Montréal et ailleurs au Québec. Cet oiseau aux couleurs vives et au chant mélodieux (pour le voir et l’entendre chanter) fait le bonheur tant des éleveurs et des collectionneurs que des photographes et des ornithologues amateurs. Pas surprenant que l’individu observé à Laval ces dernières semaines ait fait courir tant de personnes au Boisé Papineau. Comme plusieurs d’entre vous, je me suis posé des questions sur cette espèce exotique. Je vous partage dans cet article le fruit de mes recherches, pour l’essentiel tirées d’une publication de Julie Craves et Nicholas Anish (juillet 2022 – voir l’article).

Note: Les photos de Louise ont été prises cette année 2023, au Boisé Papineau. Celles de Luc, durant l’hiver 2018-19 au Bois Chomedey.

Origine du chardonneret élégant

Le chardonneret élégant fut introduit dans l’est de l’Amérique du Nord au milieu du 19e siècle. À cette époque, des sociétés d’acclimatation des oiseaux cherchaient à introduire sur le continent des espèces originaires de leur contrée natale. Était-ce par nostalgie, par familiarité ou par admiration de William Shakespeare – on dit que certains voulaient importer toutes les espèces mentionnées dans son oeuvre – que des personnes ont relaché dans la nature, et à diverses reprises, quelques dizaines d’individus d’espèces exotiques? Quoi qu’il en soit, le chardonneret élégant faisait partie du lot. Une fois dans la nature urbaine, ces espèces n’ont pas toutes eu le même succès. En outre, le chardonneret élégant n’a pas occupé l’espace comme l’ont fait l’étourneau sansonnet et le moineau domestique, au détriment des espèces indigènes d’Amérique. De toute évidence, il ne possédait pas les caractéristiques génétiques ou autres pour s’adapter à son nouvel environnement.

L’ère des sociétés d’acclimatation passa. Au 20e siècle et encore aujourd’hui, la relâchée volontaire ou involontaire d’oiseaux de compagnie, de cages ou de volières de particuliers, d’éleveurs ou d’importateurs, s’avère la cause principale de la présence d’oiseaux exotiques dans la nature au Canada comme aux États-Unis. Au 21e siècle, la provenance et le volume des importations ont de quoi en étonner plusieurs. Entre 2000 et 2014, les données officielles disponibles aux États-Unis font état de l’importation légale à des fins commerciales d’au moins 159 000 chardonnerets élégants, provenant en grande majorité d’élevage. Le plus grand importateur est situé en Illinois, près de Chicago, avec une filière en Californie ou a par ailleurs pignon sur rue une autre entreprise d’importation aviaire. Ces oiseaux provenaient à 60% d’Australie (avec une moyenne de plus de 6000 par année durant ces 15 ans), 34% de Russie (tous avant 2006 seulement), et 6% d’Ouzbékistan et d’Espagne (environ 1000 individus par année de 2006 à 2014). Quelques volatiles proviennent également d’élevage néozélandais. Selon Craves et Anish, il n’existe pas de données plus récentes d’importantion de cette espèce. Toutefois, il existe au Canada comme aux États-Unis des éleveurs privés qui vendent des individus ou des couples sur Internet et sur les réseaux sociaux. Il semble même y en avoir dans la région métropolitaine de Montréal.

Quelques populations se sont établies en Amérique

Pour mieux comprendre la situation actuelle du chardonneret élégant, Craves et Anish ont analysé plus de 7000 mentions rapportées principalement sur eBird, un nombre assurément sous-estimé en raison du traitement donné aux espèces exotiques par les observateurs les plus assidus, soulignent-ils. Quelques éléments ont attiré mon attention:

  • La grande majorité des observations proviennent de la région des Grands-Lacs, notamment des États de l’Illinois et du Wisconsin, entre Milwaukee et Chicago – non loin du plus grand importateur dont je viens de parler. De nombreuses mentions proviennent aussi de la côte Atlantique, surtout des États de New York et du New Jersey.
  • Entre 2002 et 2022, le cumul des observations dans l’ouest des Grands-Lacs montre une extension de l’aire de présence du chardonneret élégant vers le nord et vers l’est.
  • Il existe maintenant des preuves de nidification probable ou confirmée du chardonneret élégant dans quelques régions urbaines des États-Unis. Ces nidifications se situent principalement entre Milwaukee et Chicago, entre San Francisco et Los Angeles ainsi que dans la région de New-York – Long Island.

De toute évidence, les populations de chardonneret en Amérique présentent actuellement de petits effectifs et certains ornithologues californiens considèrent qu’elles ont peu de chances de persiser dans le temps.

Et au Québec?

Au Québec, les mentions confirmées de chardonneret élégant sont nombreuses et surviennent sur une base quasi-annuelle depuis 2010 (voir eBird). Entre autres, des observateurs ont mentionné un individu au Jardin botanique de Montréal, du 29 novembre 1996 au 2 décembre 1997, une présence d’une longueur exceptionnelle. Les feuillets que j’ai consultés sur eBird pemettent de constater (1) que jamais plus d’un individu n’a été observé à la fois, (2) qu’un chardonneret élégant peut passer l’hiver dans nos régions, (3) qu’une très grande majorité des observations rapportent qu’il s’alimente aux mangeoires, et (4) qu’il est généralement observé en compagnie de chardonnerets jaunes.

Bien qu’il existe une probabilité, faible pour l’instant, qu’un individu s’étant reproduit à l’état sauvage aux abords des Grands-Lacs se retrouve dans nos régions, le chardonneret élégant demeure une espèce exotique, échappée de la volière d’un élevage ou de sa cage privée d’animal de compagnie. D’ailleurs, contrairement à l’individu observé en 2018-2019 au Bois Chomedey, l’oiseau du Boisé Papineau portait une bague jaune au dessus du genou droit – ne portant aucune information – ce qui confirme qu’il vivait en captivité. Pour terminer, soulignons qu’une personne en a rapporté la présence le 10 janvier 2023 sur le forum de PerroquetsSecours. Le lendemain sur son site, l’organisme lançait un appel aux bénévoles pour le capturer. Contacté par courriel, l’organisme n’a pas été en mesure de m’indiquer si son appel a été entendu, si le volatile a été capturé et si son propriétaire l’a réclamé. Quoiqu’il en soit, ce chardonneret élégant a été vu pour la dernière fois le 20 janvier 2023.