En ce mois de janvier 2023, un chardonneret élégant (Carduelis carduelis) a été observé à Laval. Il s’agit d’une autre mention pour cette espèce exotique, qui figure bon an mal an sur au moins un feuillet eBird d’observateurs du Québec depuis 2010. Je résume dans cet article le fruit de mes recherches sur l’origine et l’établissement possible de cette espèce dans l’est nord-américain.
Texte: Pierre André
Photos: Louise Courtemanche et Luc Laberge
Passereau indigène d’Europe, d’Asie occidentale et du Maghreb, le chardonneret élégant apparaît assez régulièrement dans la région de Montréal et ailleurs au Québec. Cet oiseau aux couleurs vives et au chant mélodieux (pour le voir et l’entendre chanter) fait le bonheur tant des éleveurs et des collectionneurs que des photographes et des ornithologues amateurs. Pas surprenant que l’individu observé à Laval ces dernières semaines ait fait courir tant de personnes au Boisé Papineau. Comme plusieurs d’entre vous, je me suis posé des questions sur cette espèce exotique. Je vous partage dans cet article le fruit de mes recherches, pour l’essentiel tirées d’une publication de Julie Craves et Nicholas Anish (juillet 2022 – voir l’article).
Note: Les photos de Louise ont été prises cette année 2023, au Boisé Papineau. Celles de Luc, durant l’hiver 2018-19 au Bois Chomedey.




Origine du chardonneret élégant
Le chardonneret élégant fut introduit dans l’est de l’Amérique du Nord au milieu du 19e siècle. À cette époque, des sociétés d’acclimatation des oiseaux cherchaient à introduire sur le continent des espèces originaires de leur contrée natale. Était-ce par nostalgie, par familiarité ou par admiration de William Shakespeare – on dit que certains voulaient importer toutes les espèces mentionnées dans son oeuvre – que des personnes ont relaché dans la nature, et à diverses reprises, quelques dizaines d’individus d’espèces exotiques? Quoi qu’il en soit, le chardonneret élégant faisait partie du lot. Une fois dans la nature urbaine, ces espèces n’ont pas toutes eu le même succès. En outre, le chardonneret élégant n’a pas occupé l’espace comme l’ont fait l’étourneau sansonnet et le moineau domestique, au détriment des espèces indigènes d’Amérique. De toute évidence, il ne possédait pas les caractéristiques génétiques ou autres pour s’adapter à son nouvel environnement.
L’ère des sociétés d’acclimatation passa. Au 20e siècle et encore aujourd’hui, la relâchée volontaire ou involontaire d’oiseaux de compagnie, de cages ou de volières de particuliers, d’éleveurs ou d’importateurs, s’avère la cause principale de la présence d’oiseaux exotiques dans la nature au Canada comme aux États-Unis. Au 21e siècle, la provenance et le volume des importations ont de quoi en étonner plusieurs. Entre 2000 et 2014, les données officielles disponibles aux États-Unis font état de l’importation légale à des fins commerciales d’au moins 159 000 chardonnerets élégants, provenant en grande majorité d’élevage. Le plus grand importateur est situé en Illinois, près de Chicago, avec une filière en Californie ou a par ailleurs pignon sur rue une autre entreprise d’importation aviaire. Ces oiseaux provenaient à 60% d’Australie (avec une moyenne de plus de 6000 par année durant ces 15 ans), 34% de Russie (tous avant 2006 seulement), et 6% d’Ouzbékistan et d’Espagne (environ 1000 individus par année de 2006 à 2014). Quelques volatiles proviennent également d’élevage néozélandais. Selon Craves et Anish, il n’existe pas de données plus récentes d’importantion de cette espèce. Toutefois, il existe au Canada comme aux États-Unis des éleveurs privés qui vendent des individus ou des couples sur Internet et sur les réseaux sociaux. Il semble même y en avoir dans la région métropolitaine de Montréal.
Quelques populations se sont établies en Amérique
Pour mieux comprendre la situation actuelle du chardonneret élégant, Craves et Anish ont analysé plus de 7000 mentions rapportées principalement sur eBird, un nombre assurément sous-estimé en raison du traitement donné aux espèces exotiques par les observateurs les plus assidus, soulignent-ils. Quelques éléments ont attiré mon attention:
- La grande majorité des observations proviennent de la région des Grands-Lacs, notamment des États de l’Illinois et du Wisconsin, entre Milwaukee et Chicago – non loin du plus grand importateur dont je viens de parler. De nombreuses mentions proviennent aussi de la côte Atlantique, surtout des États de New York et du New Jersey.
- Entre 2002 et 2022, le cumul des observations dans l’ouest des Grands-Lacs montre une extension de l’aire de présence du chardonneret élégant vers le nord et vers l’est.
- Il existe maintenant des preuves de nidification probable ou confirmée du chardonneret élégant dans quelques régions urbaines des États-Unis. Ces nidifications se situent principalement entre Milwaukee et Chicago, entre San Francisco et Los Angeles ainsi que dans la région de New-York – Long Island.
De toute évidence, les populations de chardonneret en Amérique présentent actuellement de petits effectifs et certains ornithologues californiens considèrent qu’elles ont peu de chances de persiser dans le temps.
Et au Québec?
Au Québec, les mentions confirmées de chardonneret élégant sont nombreuses et surviennent sur une base quasi-annuelle depuis 2010 (voir eBird). Entre autres, des observateurs ont mentionné un individu au Jardin botanique de Montréal, du 29 novembre 1996 au 2 décembre 1997, une présence d’une longueur exceptionnelle. Les feuillets que j’ai consultés sur eBird pemettent de constater (1) que jamais plus d’un individu n’a été observé à la fois, (2) qu’un chardonneret élégant peut passer l’hiver dans nos régions, (3) qu’une très grande majorité des observations rapportent qu’il s’alimente aux mangeoires, et (4) qu’il est généralement observé en compagnie de chardonnerets jaunes.
Bien qu’il existe une probabilité, faible pour l’instant, qu’un individu s’étant reproduit à l’état sauvage aux abords des Grands-Lacs se retrouve dans nos régions, le chardonneret élégant demeure une espèce exotique, échappée de la volière d’un élevage ou de sa cage privée d’animal de compagnie. D’ailleurs, contrairement à l’individu observé en 2018-2019 au Bois Chomedey, l’oiseau du Boisé Papineau portait une bague jaune au dessus du genou droit – ne portant aucune information – ce qui confirme qu’il vivait en captivité. Pour terminer, soulignons qu’une personne en a rapporté la présence le 10 janvier 2023 sur le forum de PerroquetsSecours. Le lendemain sur son site, l’organisme lançait un appel aux bénévoles pour le capturer. Contacté par courriel, l’organisme n’a pas été en mesure de m’indiquer si son appel a été entendu, si le volatile a été capturé et si son propriétaire l’a réclamé. Quoiqu’il en soit, ce chardonneret élégant a été vu pour la dernière fois le 20 janvier 2023.