Les vols groupés et synchronisés d’oiseaux

Qui n’a jamais été intrigué par les nuées d’oiseaux, comme celles d’étourneaux ou de bécasseaux? Ou encore par des vols de dizaines de pigeons qui se sauvent d’un faucon émerillon? Voici quelques infos au sujet du rôle de ces vols, de la façon dont les oiseaux peuvent faire de telles acrobaties et des failles de ces éblouissantes envolées.

Texte et recherche: Pierre André Photos: Luc Laberge

Pourquoi certains oiseaux volent en groupes synchros?

L’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit d’une stratégie anti-prédation. La vie et le vol en groupes denses permettraient à chacun des membres de se protéger des attaques de prédateurs, comme des éperviers et des faucons si habiles à capturer des oiseaux en vol. Ainsi, se sentant plus en sécurité, les individus s’alimenteraient plus longtemps tout en formant en même temps un système de vigilance. En effet, ils sont nombreux, d’une même espèce ou en groupes interspécifiques, à surveiller les indices de la présence d’un danger ou d’une attaque imminente.

Quand ils sont en vol, se crée alors un effet de confusion qui accroit les chances d’insuccès de l’attaquant. Pensons à ces ballets d’étourneaux qui changent de direction sans crier gare et créent des vagues impressionnantes alternant les bruns clair et foncé; ou encore à ces groupes serrés de limicoles, dont le nuage passe à chaque virage du foncé ou pâle selon que les individus présentent leur dos ou leur ventre. En 2017, par la voie d’une expérience de jeu vidéo 3D avec des humains, des chercheurs ont apporté un appui à cette hypothèse anti-prédation. Les étourneaux en groupe se sentiraient plus en sécurité face à un prédateur quand ils sont plus nombreux et dans des nuées plus denses. Dans ces conditions, l’attaquant commettrait plus d’erreurs de poursuite et raterait plus souvent sa cible. En outre, la vitesse de la proie et sa variation, son accélération et ses déplacements curvilignes compliqueraient l’attaque, ce qui nécessiterait de la part du prédateur plus de temps à le pourchasser, dépensant ainsi plus d’énergie.

Il en résulte une réduction de la probabilité de capture de chacun sous l’effet du groupe. Ultimement, ce sont les individus les moins en santé, les moins expérimentés ou les moins bien adaptés au vol qui sont les plus susceptibles d’être capturés.

Comment font les oiseaux pour voler si près les uns des autres ?

Bien que les chercheurs ne sachent pas encore comment cela est rendu possible, plusieurs se sont attardés, avec la modélisation informatique, aux règles de vol des oiseaux. D’abord, le mouvement n’est pas initié par un seul individu. Il est plutôt collectif, chacun peut annoncer la venue possible d’une menace imminente par un cri d’alarme, un comportement particulier ou d’une autre façon.

Une fois en mouvement, chaque individu est très attentif à ses voisins, cherchant le moindre indice de changement de direction ou de vitesse. Ces grands groupes ne sont pas sous le contrôle d’une « force psychique » qui leur dicte leurs déplacements, comme certains pouvaient le croire au XVIIIe siècle. Il s’agit plutôt d’un ensemble de règles assez simples. Un individu n’a pas besoin de se concentrer sur la totalité du mouvement du groupe pour s’orienter et demeurer groupé. Il se concentrerait sur les 6 ou 7 individus les plus près de lui. Sept serait le nombre d’objets différents que le cortex cérébral d’un étourneau peut interpréter en même temps. Le temps de réaction de chacun serait de l’ordre de 15 millisecondes. Quand le risque est passé ou ne s’est pas avéré, les individus se posent à nouveau et reprennent leurs activités normales.

Pour assurer une synchronicité si élevée, des chercheurs formulent l’hypothèse d’un système de contrôle de la vitesse marginale (marginal speed control). Ainsi, dans les murmures d’étourneaux, chaque individu varie sa vitesse de 8 à 18 m/s pour suivre le mouvement incroyablement constant du groupe qui est de 12 m/s. Le maintien de ces vitesses permettrait aux individus d’accélérer ou de ralentir pour rester soudés au groupe, ce qui les préviendrait d’un isolement fatal.

D’autres ont démontré que, lors d’une attaque, un groupe de pigeons utilise deux schémas d’esquive collective : l’un est de se scinder hâtivement en sous-groupes et l’autre, de changer souvent de directions de vol, même si le prédateur est encore loin. La fréquence relative de ces schémas dépend de la vitesse angulaire et de la position de l’initiateur de l’action dans le groupe. Un virage en épingle initié par un individu situé en marge du groupe conduit à plus de scissions que de changements de direction.

Enfin, diverses tactiques ont été observées pour éviter les collisions. Lors d’essais menés en tunnel, notamment sur des pigeons, des chercheurs ont constaté que, pour éviter une collision frontale, deux oiseaux peuvent (1) changer leur trajectoire (la majorité prendrait leur droite pour éviter un face-à-face), (2) remonter momentanément leurs ailes pour se faire plus minces ou (3) voler de travers pour se faire encore plus étroits.

Comment expliquer les fausses alertes de prédateurs ?

Plusieurs d’entre nous avons été témoin de groupes d’oiseaux qui subitement s’envolent en absence d’un prédateur. Ceci est perçu comme une « maldaptation », une perte inutile d’énergie provoquée par ces mouvements inopportuns. Une récente hypothèse, publiée en 2022, y voit plutôt une adaptation aux effets positifs. En se basant sur des lectures appuyant sa pensée, la chercheure avance l’hypothèse que ces fausses alertes sont comme des exercices de feu pour nous. Quand les oiseaux décollent pour échapper à un attaquant, ils le font plus rapidement que s’ils s’envolent pour aller s’alimenter ou pour changer d’abri. Cette accélération de tous les membres du groupe et la coordination rapide des individus en vol, qui peut atteindre 140 km/h, demandent un apprentissage, en particulier quand le groupe se compose de juvéniles et d’adultes, d’individus de poids changeant quotidiennement, ou de différentes espèces de dimension et de poids inégaux. Leur survie dépendrait donc du temps de réaction et de coordination. Ainsi, les fausses alertes ne seraient pas une maladaptation, mais plutôt une adaptation à la survie du groupe. Bien que séduisante, cette hypothèse demande à être validée par l’expérience ou l’observation.

Ces mouvements collectifs sont-ils sans faille ?

Bien qu’ils soient très efficaces pour échapper à un prédateur, il y a des cas de mortalité importante associés à ces déplacements synchronisés. Le plus récent, qui a suscité d’intéressants échanges sur la liste ornithoQC (voir la note ci-dessous), est survenu au Mexique au début de cette année. Une caméra de sécurité, pointée vers la rue, a filmé des centaines de carouges à tête jaune qui s’assomment au sol. Cette espèce de carouge passe l’hiver en grand nombre dans l’État de Chihuahua. Dans ces déplacements de masse, il arrive que des sous-groupes se forment et tentent de s’échapper en se déplaçant à toute vitesse par exemple vers le bas, comme le montre cette vidéo avec des étourneaux pourchassés.

En volant synchros avec leurs proches voisins, aussi rapidement et en un schéma non planifié, il arrive que les oiseaux mésestiment leur vitesse et leur hauteur de vol. S’ensuivent des collisions qui surprennent plusieurs individus et entraînent la mort, dans un même secteur, d’une proportion d’entre eux.

Dans ce cas particulier de Chihuahua, on ne saura probablement jamais ce qui a déclenché l’envolée ni pourquoi le groupe ou un sous-groupe s’est dirigé à si vive allure vers le sol. À moins qu’une autre caméra nous révèle la scène dans un angle pertinent ou qu’un observateur relate l’événement. L’hypothèse d’une attaque par un oiseau de proie semble la plus probable, selon les ornithologues interrogés par les journalistes de différents médias, dont le Washington Post.

Note : Les échanges sur OrnithoQC impliquaient Serge Beaudette, Gaétan Duquette, Yves E. Gauthier, Gérard Rossini et moi-même. Quelques éléments de cette dernière partie faisaient partie des échanges. Je les en remercie.

2 commentaires sur « Les vols groupés et synchronisés d’oiseaux »

  1. Bonjour M. Pierre André, j’aimerais avoir une discussion avec vous concernant votre article sur les projets éolien et la mortalité des oiseaux. Mon nom est Jeannot Morin et je demeure en Beauce à Ste-Aurélie tel.418-593-3463

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    1. Bonjour M. Morin. Désolé pour ce délai indu de réponse. Je suis mal à l’aise de vous téléphoner. Je suis actuellement membre additionnel du BAPE et ce statut me contraint à un devoir de réserve sur des sujets environnementaux comme les éoliennes. C’est bien triste, mais c’est comme cela. Toutefois, je vous invite à me donner plus de détails sur la raison et la nature de la discussion que vous aimeriez que nous ayons. Si par ailleurs vous avez des questions précises sur l’info – qui date de quelques années déjà – contenue dans ce post, n’hésitez pas à me les envoyer par courriel. Il me fera plaisir de vous répondre rapidement. Salutations distinguées et encore mes excuses pour le délai de réponse.

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