Dès la fin du mois de juillet et le début du mois d’août, le passage migratoire des bécasseaux débute dans la région métropolitaine de Montréal. Leur identification me pose, ainsi qu’à plusieurs de mes amis, un défi à chaque année. Dans cet article, je décris et compare les cinq plus petits bécasseaux que les anglophones regroupent sous l’appellation de Peeps. En outre, je m’attarde aux caractéristiques structurales et comportementales de ces congénères à l’automne. En terminant, je vous partage un tableau comparatif de ces petits Calidris.
Texte et tableau de Pierre André
Photos de Luc Laberge et Sylvie Duchemin
Plusieurs ornithologues regroupent ces espèces en trois ensembles. Le premier ne comprend que le Bécasseau minuscule, aux ailes courtes et aux pattes jaunâtres ou verdâtres. Le second inclut le B. semipalmé et le B. d’Alaska, aux pattes noires et aux ailes qui dépassent subtilement les tertiaires et la queue. Et le troisième regroupe deux espèces aux pattes noires et aux ailes longues: le B. de Baird et le B. à croupion blanc.
La silhouette et les mensurations varient selon les espèces. La figure suivante présente le profil à l’échelle de chacune d’elles. Nous constatons rapidement la différence de taille et de corpulence entre les espèces des trois groupes. Le B. minuscule est de loin le moins costaud et les bécasseaux à croupion et de Baird les plus imposants.

Si les différences de forme peuvent s’observer sur des photographies, surtout celles prises dans de bonnes conditions de lumière, celles comportementales requièrent une observation plus soutenue sur le terrain, ce qui ne peut être capté que par vidéo. J’ai d’ailleurs sélectionné quelques vidéos de la Macaulay Library pour illustrer mon propos.
Groupe 1. Le Bécasseau minuscule (Calidris minutilla).
Le B. minuscule, le plus petit des Calidris du Québec, mesure environ 12 cm de longueur. Outre sa petite taille, il se reconnaît par sa petite tête ronde avec peu de blanc, son œil saillant et ses pattes jaunâtres ou verdâtres. La couleur brune de son plumage dorsal le fait ressortir d’un groupe de B. semipalmé, qui sont plus gris ou brun gris. Deux lignes pâles sous la forme d’un V incomplet traversent le dos.
Ce bécasseau a les ailes courtes au bout arrondi (visible en vol). Au sol, il s’agit d’une espèce nerveuse qui mange en regardant à gauche et à droite à répétition en se déplaçant. Quand un bruit l’apeure, les individus ont tendance à figer sur place. Pour s’alimenter, ils semblent accroupis. Ils avancent si loin le tarse que nous avons parfois l’impression qu’il mange entre ses pattes. Ils marchent doucement en balayant régulièrement la tête d’un côté et de l’autre.
Ce vidéo de Greg Baker illustre bien le comportement alimentaire d’un juvénile (https://macaulaylibrary.org/asset/201827871). L’oiseau est bas sur ses pattes jaunes, se déplace lentement et picore en regardant à gauche et à droite.
Sur l’image côte-à-côte, notez les différences entre le B. minuscule (à gauche) et le B. semipalmé:la figure avec moins de blanc, le bec retombant, l’œil plus proéminent, le cou moins large, la projection du tarse vers l’avant, les pattes jaunâtres et le brun plus chaud du dos caractérisent le B. minuscule.


Sur les photos, observez la petite tête ronde avec peu de blanc et l’œil saillant, le bec court à pointe fine et retombant, les pattes non noires avec le « genou » très arqué qui projette le tarse vers l’avant.


Groupe 2. Le Bécasseau semipalmé (C. pusilla) et le B. d’Alaska (Calidris mauri).
De la même taille et du même poids, le B. semipalmé et B. d’Alaska sont plus grands et plus costauds que le B. minuscule. De façon générale, dans l’est de l’Amérique du Nord, le B. semipalmé est le bécasseau le plus abondant alors que le B. d’Alaska est observé occasionnellement. Chez ces deux espèces, les ailes dépassent subtilement les tertiaires et le bout de la queue.
La tête du B. semipalmé, montée sur un large cou, semble trop petite pour son corps. Elle affiche plus de blanc que celle du B. minuscule ainsi qu’un lore et un béret foncés. Son bec, généralement court et droit, peut varier considérablement en longueur, les plus longs paraissant retombants. Ses pattes noires semblent plus centrées que celles du B. d’Alaska. Son dos gris-brun ou gris le démarque du brun plus chaud et foncé du B. minuscule. Les individus sont plus ronds et compacts, ce qui les font paraître dans l’ensemble bien balancés. Dans notre région métropolitaine, le B. semipalmé est l’espèce la plus abondante alors que le B. d’Alaska est la plus rare. Les individus se tiennent souvent en nombre plus important que ceux du B. minuscule. Ils marchent rapidement, piquent nerveusement à la surface pour attraper leurs proies et basculent le cou pour manger, tout en gardant le corps droit. Vigilants, ils regardent régulièrement de chaque côté et interagissent fréquemment entre eux. Ils sont plus agressifs que le B. d’Alaska.
Ce vidéo de Greg Baker illustre bien le comportement alimentaire d’un B. semipalmé juvénile (https://macaulaylibrary.org/asset/201817861). L’oiseau marche plus vite, semble plus nerveux et se nourrit dans une posture plus horizontale que le B. minuscule. Il jette fréquents des regards à gauche et à droite. Sur les photos, notez les pattes noires, le cou large, la petite tête avec l’œil non « exhorbité », le bec court et droit, les primaires qui dépassent légèrement les tertiaires et la queue, ainsi que le lore et le béret foncés.

Trois-Pistoles

Yamachiche
Sur la photo côte-à-côte, observez les différences entre le B. semipalmé (à gauche) et le B. de Baird: les ailes courtes, la compacité du corps, le dos plus arrondi, le bec droit plus court et épais, ainsi que le lore et le béret foncés.


Pour sa part, le B. d’Alaska a le bec plus long, plus épais et plus retombant que le B. semipalmé. Sa tête plus grosse repose sur un plus large cou. Elle paraît même trop grosse pour le corps. L’œil est décentré vers l’avant. La partie antérieure du corps semble plus grosse que la postérieure et ses pattes sont décentrées vers l’arrière, ce qui lui donne une allure débalancée. L’oiseau est plutôt élancé que compact. Le dessus du corps est plus pâle que celui du B. semipalmé avec, chez les juvéniles, des teintes de roux au béret, à l’auriculaire et au scapulaire. La mue qui a débutée permet de le distingué du B. semipalmé lors de son passage.
Les individus se nourrissent en prélèvement à la surface ou en pénétrant légèrement la boue. Ils bougent la tête, donnent quelques rapides coups de bec et avancent de quelques pas. Ils préfèrent les plages plus sableuses que le B. semipalmé. Ils marchent plus lentement et d’une façon qui paraît plus hésitante.
Le vidéo d’Alberto Lobato disponible en cliquant sur ce lien (https://macaulaylibrary.org/asset/482723701) illustre bien la démarche calme et la stratégie d’alimentation du B. d’Alaska. Surveillez le passage occasionnel d’un B. minuscule. Sur les photos, notez le bec long, épais et retombant, la forme élancée, le cou large, l’oeil décentré ainsi que la forte poitrine qui lui donne l’air d’avoir les pattes mal centrées. Enfin, voyez le roux à différents endroits sur son plumage.

Ste-Anne-de-Bellevue

Jardin des Souches
Enfin, la comparaison côte-à-côte du B. semipalmé (à gauche) et du B. d’Alaska permet d’observer quelques traits distinctifs. Notez le corps plus élancé semblant débalancé du B. d’Alaska ainsi que le dessus gris pâle de son corps, son œil décentré vers l’avant et son bec plus long, plus épais et plus retombant. Voici la description tirée du feuillet eBird de Sylvie Duchemin et Louis Lemay: Plus pâle que le BESE. Bec plus long et légèrement tombant par rapport au Bécasseau semipalmé. Léger roux perceptible au niveau auriculaire, sur la calotte et sur les scapulaires. Poitrine striée comme le bout d’une flèche, quelques stries descendent au niveau des flancs. Pattes noires. « Mâle adulte en mue ».


Groupe 3. Le Bécasseau de Baird (Calidris bairdii) et le B. à croupion blanc (C. fuscicollis)
Ce groupe de bécasseaux inclut deux espèces de bonne taille qui ont les ailes longues, les primaires dépassant clairement les tertiaires et la queue. Toutes deux ont les pattes noires.
Le B. à croupion blanc tire son nom de la couleur de son croupion, visible surtout en vol et caractéristique de l’espèce. Il a un bec de longueur moyenne, épais et retombant. La mandibule inférieure peut afficher du jaune à sa base (voir photo de S. Duchemin), alors que le bec du B. de Baird est toujours entièrement noir. Sa tête, ornée d’un sourcil blanc bien visible, est plus large que celle du B. de Baird. Son dos et ses ailes sont grisâtres. Ce bécasseau a le corps élancé avec une poitrine forte et grisâtre, aux fines stries qui débordent sur les flancs. Debout, il semble embrasser le sol en raison de ses courtes pattes. Sa démarche est régulière. Les individus se nourrissent vite et agressivement, faisant parfois la « scie sauteuse ». Horizontal lors des déplacements, son corps s’incline lors de l’alimentation. Quand ils mangent, ils projettent leur bec vers l’avant. En se penchant, leur queue monte et descend. Quand ils sont en alerte, ils maintiennent leur queue en l’air sans la secouer.
La vidéo de Daniel Jauvin illustre bien le comportement alimentaire du B. à croupion blanc: la démarche régulière, la projection du bec vers l’avant, la « scie sauteuse » avec une bonne pénétration dans la boue ainsi que le mouvement de la queue qui monte et descend (https://macaulaylibrary.org/asset/373899551). Sur les photos, notez le bec moyen épais et retombant, les longues primaires ainsi que les traits sur la forte poitrine qui débordent sur les flancs.

Sur cette photo de Sylvie Duchemin, observez le jaune à la base du bec de ce B. à croupion blanc. C’est un caractère difficile à voir, qui n’est pas présent chez tous les individus.


Le B. de Baird a le bec toujours noir, fin et élancé, qui est jun peu plus court, droit et pointu que le B. à croupion blanc. Sa face est de couleur unie à l’exception du lore foncé. Son œil proéminent le fait paraître effrayé. Son dos est beige. Les bandes sur la poitrine sont de couleur cannelle et complètes alors que les flancs sont blancs. Quand nous le regardons de face, il présente une forme aplatie et ovoïde. Ses pattes sont courtes. Les individus marchent en faisant de petits pas réguliers, ce qui leur donnent un air nonchalant, l’air de se traîner les pieds. En avançant, ils ont un mouvement de têtes rapide de l’arrière vers l’avant, un peu comme pour se donner un élan. Ils s’alimentent en prélevant souvent leur nourriture à la surface de l’eau.
Cette vidéo de Ryan Mandelbaum permet d’apprécier au ralenti le mouvement d’étirement de la tête presqu’à chaque avancée, sa démarche par petits pas ainsi que la façon qu’il a de s’alimenter. Quand nous le regardons de face, nous remarquons sa forme aplatie et ovoïde caractéristique (https://macaulaylibrary.org/asset/526930741). Sur les photos, notez le bec droit et mince, les longues ailes, les flancs blancs, la face de couleur unie au lore foncé et l’œil gros, les courtes pattes et le dos aplati.

Grenville

Grenville
Enfin, la comparaison côte-à-côte permet de voir les différences entre le B. à croupion (à gauche) et le B. de Baird. Notez chez le B. de Baird le bec plus mince et plus égal sur toute sa longueur, l’œil plus gros, le flanc blanc sans taches, le dos beige et la forme aplati du corps.


Conclusion
Les petits bécasseaux sont difficiles à différencier. En outre, ils nous invitent à regarder plein de détails de couleur qui ne sont pas toujours utiles en raison des variations saisonnières et selon leur stade de développement et de la progression de la mue. Nous résumons dans le tableau qui suit leurs caractéristiques. Nous joignons également une version PDF pour celles et ceux qui souhaiteraient l’imprimer. Il s’agit d’une version 1 assurément imparfaite. Pour tout commentaire ou suggestion, n’hésitez pas à commenter ce post. En espérant qu’il vous sera utile autant qu’à moi.

Remerciements
Je tiens à remercier Luc Laberge et Sylvie Duchemin qui ont si gentiment partagé les photos et commenté mon texte. Je remercie également toutes les observatrices et observateurs qui, sur le terrain, m’ont instruit en partageant avec moi leurs connaissances et leurs observations.
Références
American Birding Association (2008) Identification of North American Peeps. A Different Approach to an Old Problem. Birding, July/August 2008.
Chandler, R. (2009) Shorebirds of N. America, Europe and Asia. A Photographic Guide. Princeton University Press.
O’Brien, M., R. Crosley et K, Karlson (2006) The Shorebird Guide, Hooughton Mifflin, Boston, USA.
Paquin, J., G. Caron et M. Leboeuf (2022) Oiseaux du Québec et des Maritimes.4è édition, Éd. Michel Quintin, Montréal, QC
Stokes, D. et L. (2010) The Stokes Field Guide to the Birds of North America. Little, Brown and Company, Boston, USA.
