La Mésange à tête noire fait partie des quelque 80 espèces d’oiseaux qui demeurent toute l’année au Québec, même l’hiver quand la température tend vers les -40 °C et que la neige tapisse le sol. Comment s’est-elle adaptée à cette dure réalité ? Dans cet article, il sera question de duvet, de torpeur, de caches alimentaires et de mémoire phénoménale.
Texte de Pierre André avec des photos de Luc Laberge
D’un poids de 8 à 14 grammes, ce qui correspond environ à deux pièces de 25 cents, la Mésange à tête noire vit dans un climatparticulièrement rigoureux. Elle opère à des températures moyennes qui se situent entre -5 et -10 °C entre décembre et mars, avec des creux inférieurs à -25 °C. Pour survivre, elle compte sur des techniques qui lui permettent de réguler sa température corporelle et d’assurer une disponibilité alimentaire.

La régulation thermique
Comme tous les oiseaux, la mésange est une endotherme. Elle doit maintenir sa température corporelle entre 40 et 42 °C, ce qui diffère considérablement de la température ambiante, particulièrement en hiver. L’organe qui joue un rôle clé dans lathermorégulation est l’hypothalamus. Comme le fait un thermostat dans une pièce, cette partie du cerveau de la taille d’un grain de riz mesure les changements de température corporelle (Tb) d’un individu et cherche généralement à la maintenir.
Quand la température chute, le cerveau déclenche des réponses physiologiques et comportementales qui ont pour objectifs de produire de l’énergie ou de la conserver. En outre, la mésange est bien garnie en duvet qui lui recouvre le corps. Lors des journées et des nuits froides, elle gonfle ses plumes, ce qui épaissit la couche d’air autour d’elle et la protège des effets du froid. Elle augmente ainsi considérablement son volume et conserve l’énergie.
Quand de surcroît un individu enfouit ses pattes et son bec dans ses plumes, il conserve encore plus son énergie. Il en est de même quand il s’abrite la nuit venue dans la cavité d’un arbre ou dans un faisceau dense de branches de conifères. Se mettre à l’abri du vent lui permet de réduire les pertes de chaleur par convection.

Cependant, le gonflement des plumes a ses limites. À de plus basses températures, la mésange doit produire de la chaleur par frissonnement ou entrer en hypothermie. Le frissonnement (shivering) est une réponse rapide et involontaire des muscles qui génère de la chaleur. L’influx nerveux vient de l’hypothalamus, son thermostat corporel. La chaleur ainsi produite se dissipe dans l’individu, ce qui lui permet d’ajuster sa température corporelle.
La Mésange à tête noire a aussi la capacité d’entrer en hypothermie. L’hypothalamus active alors le système nerveux parasympathique, ce qui abaisse sa température corporelle, son rythme cardiaque et ses besoins métaboliques. Un individu peut ainsi survivre plus longtemps sur les graisses et les sucres qu’il a accumulés. Cet état de torpeur serait enclenché par très grands froids quand le taux de gras disponible pour générer de la chaleur et maintenir son métabolisme est insuffisant. Au lever du soleil, la mésange frissonne vigoureusement, ce qui produit de la chaleur et sort l’oiseau de sa torpeur.
Et si certains individus pouvaient s’activer tout en étant en hypothermie les jours de très grands froids ? En 2024, Hawkshaw et ses collaborateurs ont démontré que certains individus peuvent abaisser leur température corporelle le jour, tout en demeurant actifs. En mesurant la température sous-cutanée d’individus s’alimentant à des mangeoires en janvier et février, ils ont noté une température moyenne de 41,5 °C avec une valeur surprenante de 26,1 °C dans de rares cas. Ils estiment que la Tb n’est pas indépendante de la température ambiante : quand l’une baisse, l’autre suit. De même, Tb croît avec la longueur du jour comme la température ambiante d’ailleurs. S’ils s’attendaient à une baisse du métabolisme avec la réduction de Tb, leur expérience ne leur a pas permis de la constater, entre autres en raison de la taille de leur échantillon.
Malgré ce fort potentiel thermorégulateur, un froid intense et persistant peut être fatal, si le métabolisme d’un individu ne produit pas une chaleur suffisante pour maintenir ses fonctions physiologiques et cellulaires tout le long d’un épisode glacial.
La stratégie alimentaire
Pour maintenir sa température corporelle et répondre à ses besoins métaboliques, la mésange doit augmenter la fréquence de son alimentation et la quantité de nourriture qu’elle ingère. Les individus augmentent leur métabolisme de base de plus de 20%, dès octobre et durant les mois les plus froids de l’hiver, pour le redescendre en mars (Petit, 2015).
En hiver, la mésange a beaucoup plus de difficulté à s’alimenter. D’une part, la couverture de neige cache des sources potentielles d’approvisionnement. D’autre part, la courte photopériode, de l’ordre de 8 h par jour dans la région de Montréal, réduit le temps qu’elle peut consacrer à l’alimentation. Pour satisfaire ses besoins, chaque individu doit consommer environ son poids sur une base quotidienne, ce qui équivaut à une trentaine de graines de tournesol noir.

La mésange fait des provisions pour surmonter les moments difficiles. Dès l’automne, les individus cachent de la nourriture dans des lieux qu’ils revisitent à diverses occasions. Les graines, les insectes ou autres aliments sont dissimulés, en quelques secondes, sous l’écorce d’un arbre ou au cœur d’un faisceau d’aiguilles de pin, par exemple. Un individu peut ainsi cacher quelques dizaines d’éléments par jour, voire une centaine. Comment peut-il se rappeler des milliers de cachettes, de leur contenu et de leur état au cours d’une saison ?
La Mésange à tête noire dispose d’une phénoménale mémoire spatiale et épisodique dont les mécanismes précis ne sont pas encore bien connus (Smulders et Chang, 2025). Nous savons cependant que la partie du cerveau en cause est l’hippocampe qui a la taille équivalent à celle d’une graine de sésame.
En 2024, Chettih et ses collaborateurs ont démontré que chaque cache créée par un individu est encodée comme s’il s’agissait d’un code-barre sur un produit d’épicerie. Chaque fois qu’une mésange cache une graine, un modèle d’activation neuronal unique et éphémère se déclenche dans son hippocampe. Ce modèle agit comme un identifiant caractéristique d’un événement de cachette unique. Lorsque l’oiseau retourne plus tard pour récupérer l’aliment, le même modèle de code-barres s’active de nouveau. Ce faisant, il se souvient de l’emplacement exact et de l’événement précis. Chaque code est formé de cellules nerveuses de différents types. Si les cellules de lieu (place cells) créent une carte mentale générale de l’environnement spatial, les codes-barres sont eux spécifiques à l’action de cacher ou de récupérer un élément, ce qui permet de distinguer clairement des cachettes même très proches l’une de l’autre.
Cette découverte a des incidences majeures sur les recherches, non seulement sur la mémoire épisodique des oiseaux, car la Mésange à tête noire n’est pas la seule espèce à se faire des réserves, mais aussi sur celle des mammifères (Donahue et Colgin, 2024).

De plus, les mésanges profitent des mangeoires mises à leur disposition. Les graines de tournesol constituent une source alimentaire de qualité, riche en huile. En s’en approvisionnant, elles réduisent le temps qu’elles consacrent à la quête de nourriture pour combler leurs besoins énergétiques et métaboliques. En Alberta, Hawkshaw et ses collaborateurs ont observé que le taux d’alimentation (foraging rate) augmente avec la baisse de la température et de la longueur du jour. D’autres chercheurs ont remarqué qu’un individu ne satisferait pas plus de 20 à 25% de ses besoins énergétiques en aliments provenant des mangeoires (Temple, 2004). La mésange garde ainsi une indépendance envers la qualité et la constance de l’approvisionnement anthropique. Elle complète et diversifie son assiette en exploitant le milieu naturel, y compris ses caches.
Conclusion
La Mésange à tête noire ajuste son taux d’alimentation et sa température corporelle pour s’ajuster à la température ambiante. Elle cherche ainsi à répondre à ses besoins énergétiques et métaboliques, au demeurant fort variables d’un individu à un autre. Les recherches récentes mettent en exergue la limite de nos connaissances de cette espèce qui fait le bonheur des petits et grands randonneurs hivernaux. Décidément, ce petit oiseau n’a pas fini de nous étonner.
Remerciements
Mes sincères remerciements à Luc Laberge pour les photos et à mon épouse Johanne Filiatrault pour sa relecture attentive de l’article.
Références
BirdWatching (2025). Why Birds Fluff Up Their Feathers in Winter – The Secret Behind the Puff. BirdWatching, Dec. 2, 2025.
Chettih S.N., E.L. Mackevicius, S. Hale et D. Aronov (2024). Barcoding of episodic memories in the hippocampus of a food-caching bird. Cell. 2024 Apr 11;187(8):1922-1935.e20. doi: 10.1016/j.cell.2024.02.032.
Donahue M.M. et L. Lee Colgin (2024). Seed-stashing chickadees overturn ideas about location memory Nature Views and News, vol. 629, May 23, 2024, p. 1005-1006. https://www.nature.com/articles/d41586-024-01500-y .
Dunne, P. (2024). The Courage of Birds. And the Often Surprising Ways They Survive Winter. Chelsea Green Publ., Vermont USA.
Hawckshaw, D.M., J. J. Wijmenga et K.J. Mathot (2025). Individual variation in diurnal body temperature and foraging activity in overwintering black-capped chickadees (Poecile atricapillus), Journal of Thermal Biology, Vol. 127, 104059, https://doi.org/10.1016/j.jtherbio.2025.104059.
Petit, M. (2015). Acclimatation hivernale chez un petit endotherme : la mésange à tête noire (Poecile atricapillus). Thèse. Montréal QC, Université du Québec à Montréal, Doctorat en biologie.
Smulders T.V. et S. Cheng (2025). What is the nature of cache memory in Parids? A comment on Chettih et al. 2024. Animal Cognition, 2025 Feb 12;28(1):13. doi: 10.1007/s10071-025-01932-7. Erratum in: Anim Cogn. 2025 Jul 25;28(1):67. doi: 10.1007/s10071-025-01988-5. PMID: 39937295; PMCID: PMC11821683.
Temple, S.A. (2004). Individuals, populations, and communities: The ecology of birds. In: Podulka, S., R.W. Rohrbaugh Jr et R. Bonney (ed.) Handbook of Bird Biology, 2e éd., Cornell Lab of Ornithology in association with Princeton University Press, USA.
