Nous aimons l’hiver. Marcher dans la neige folle, ressentir le froid mordant sur nos joues rougies, entendre crisser nos pas sur un sentier damé. Et observer les oiseaux dans la blancheur des champs et la nudité des arbres. En ce temps de flocons, de congères et de glaçons, des oiseaux s’attardent dans la régionmétropolitaine, profitant d’une baie, d’un grain ou juste d’une étendue d’eau libre.
Texte : Pierre André
Photos : Luc Laberge et Pierre André
Ces visiteurs s’ajoutent à la trentaine d’espèces qui vivent chez nous à l’année longue comme la tourterelle triste, la mésange à tête noire, le geai bleu, le roselin familier, le chardonneret jaune et les pics mineurs et chevelus. Nous vous partageons ici cinq plaisirs ornithologiques que nous revivons à chaque hiver.
1. Le retour des goélands nordiques
Alors que les goélands à bec cerclé quittent notre région vers des eaux plus clémentes, les goélands qui se reproduisent dans l’estuaire et le golfe St-Laurent ainsi que dans les milieux côtiers plus au nord se pointent en nombres impressionnants. Si les goélands argentés et marins, attroupés par centaines, dominent, les mordus comme nous recherchons les « goélands blancs », ceux au dos variant du gris pâle au blanc givré. Ces « dos blancs » incluent le gros goéland bourgmestre dont la taille approche celle d’un marin, et le goéland arctique, de la grosseur d’un argenté. Il n’est pas rare que sorte du lot un goéland brun adulte qui se distingue des autres par sa taille moindre que celle d’un argenté, son dos ardoisé aux primaires noires et ses pattes jaunes. Pourcompliquer les choses, durant leurs premières années de vie, le plumage d’un individu change considérablement au fil des mues. Qui plus est, les différences interspécifiques sont souvent plus subtiles chez les individus les plus jeunes. Tous les goélands communs dans l’est de l’Amérique du Nord deviennent adultes en quatre ans, sauf le goéland à bec cerclé qui atteint la maturité la troisième année. Nous l’admettons, l’apprentissage des goélands demande des heures d’observation patiemment installés dans des conditions qui ne sont pas toujours faciles. Cela demande également un partage des connaissances sur le terrain, au fur et à mesure de nos découvertes. L’identification des goélands présente un beau défi que nous aimons relever. Et quand tous les Laridés devant nous s’envolent paniqués, il nous arrive d’observer un pygargue à tête blanche ou un faucon pèlerin en chasse.


2. Les groupes de canards
Quand gèlent les zones calmes des rivières, les lacs et les marais, nous visitons les berges qui bordent les eaux courantes et les rares mares aux eaux plus chaudes. C’est sur ces aires libres que s’attroupent les canards plongeurs et les barboteurs. Les garrots à œil d’or nous arrivent de la région boréale groupés par dizaines. Les mâles courtisent les femelles en s’envoyant la tête vers l’arrière en une sorte d’inlassable danse. Quand ils remontent le courant, ils émettent en vol un sifflement en battant rapidement des ailes. Parfois, nous apercevons un garrot d’Islande avec sa virgule blanche derrière le bec, son clavier de notes noires et blanches sur le côté, sa tête carrée et, juste devant l’aile, un court trait noir bien visible qui descend du dos. Presque chaque année, d’autres espèces piscivores fréquentent nos rivières, dont l’arlequin plongeur, les macreuses, les fuligules, les harles et les plongeons. Pour leur part, les barboteurs, dispersés durant l’été, se regroupent parfois par centaines quand il ne reste que quelques espaces d’eau libre. Si les colverts dominent, nous trouvons généralement des canards noirs et, en de rares occasions, des sarcelles, des branchus et d’autres barboteurs ou plongeurs. Notre plaisir, c’est de les observer attentivement pour admirer leur miroir et dénicher un intrus.





3. Les dizaines de passereaux
Plusieurs passereaux boréaux, qui se tiennent en bande, choisissent de passer l’hiver, au moins en partie, dans la région métropolitaine. Leur nombre et leur localisation dépendent de l’abondance de nourriture. Certains profitent des résidus de céréales dans les champs alors que d’autres recherchent les baies des arbres et arbustes, ainsi que les graines des conifères, des feuillus et des mangeoires. En milieu ouvert, les plectrophanes des neiges s’alimentent dans les champs de maïs et se reposent dans la futaie des arbres ou sur le toit des bâtiments de ferme. Nous les observons fréquemment en bordure des routes de campagne où ils picorent les grains de sable nécessaires pour broyer la nourriture. À l’occasion, nous découvrons parmi eux un plectrophane lapon, d’un brun plus foncé sans taches blanches sur les ailes, ou une alouette hausse-col, au dos brun, à la gorge jaune bordée d’une bavette noire et aux petites « cornes » noires parfois visibles. Quand les oiseaux décollent ensemble en criant et si la chance nous sourit, nous découvrons une pie-grièche boréale en chasse. Les sizerins flammés, qui soi-dit en passant incluent maintenant le sizerin blanchâtre, de même que les jaseurs boréaux et d’Amérique, visitent les arbres fruitiers comme les pommetiers, les cerisiers, les sorbiers et les vinaigriers. Pour leur part, les sizerins mangent les graines des conifères, des bouleaux, des saules… alors que les tarins des pins recherchent les pignons des cônes d’épinettes et de pins. La majorité des arbres qui produisent des fruits, fussent-ils feuillus ou aiguilles, constituent le garde-manger de nombreuses espèces résidentes et visiteuses. Nous repérons toutes ces espèces en vol et à leurs cris qui les distinguent et meublent l’ambiance sonore assourdie par le couvert neigeux.




4. Les oiseaux de proie
Certains oiseaux de proie migrent vers nos latitudes. C’est notamment le cas du harfang des neiges, quand le lemming se fait rare dans le grand Nord. Dans la région, nous observons surtout des jeunes et des femelles qui survolent les milieux ouverts et enneigés. Ils se posent souvent au sommet d’un monticules, d’un poteau et d’un lampadaire. Grâce à leur ouïe aiguisée et à la configuration de leur face, ils repèrent et capturent des souris et autres micromammifères qui se meuvent sous la neige. Pour sa part, la buse pattue, que nous observons souvent à la cime des arbres, se nourrit de souris, de musaraignes, d’oiseaux et même d’écureuil et de lapin. Il y a aussi les nyctales. En outre, la petite nyctale, beaucoup plus fréquente que sa cousine la nyctale de Tengmalm, se colle au tronc d’un thuya où elle passe la journée à se reposer avant de s’attaquer la nuit venue aux plus petits mammifères. Enfin, d’autres oiseaux de proie nous visitent occasionnellement entre les mois de janvier et de mars,comme le hibou moyen-duc, le hibou des marais, la chouette lapone et la chouette épervière. Par ailleurs, le grand-duc d’Amérique, qui réside dans notre région durant toute l’année, se reproduit durant les mois d’hiver. Il n’est pas rare que nous l’entendions hululer le soir dès décembre et que nous l’observions dès janvier sur un nid inoccupé de corneille ou de grand héron.



5. Les surprises
Pour terminer, nous ne pouvons passer sous silence toutes les espèces dont la présence hivernale est autant fortuite qu’inattendue. Nous pensons par exemple à la paruline à gorge jaune, au gobe-moucheron gris-bleu, à l’ictérie polyglotte et à Lady Gaga, le piranga vermillon, toutes des espèces que nous avons eu le bonheur d’observer durant les hivers derniers à quelques kilomètres de la maison. Ces espèces survivent un certain temps et parfois jusqu’au printemps grâce aux hivers plus doux que nous connaissons, aux pertes de chaleur des édifices et aux bons samaritains qui les nourrissent.
En conclusion
Décidément, la plaine du Saint-Laurent accueille plusieursespèces nordiques durant la saison froide. L’hiver n’est pas une morte saison pour ceux et celles qui s’animent et s’émerveillent. Bien emmitouflés, il nous offre de belles occasions d’observer l’interaction des oiseaux en groupe, leur mode d’alimentation, leur technique de chasse et de camouflage, leurs chants et leurs cris. Il nous incite également à nous documenter, dans le confort du foyer, sur les migrations et la biologie des oiseaux, à nous interroger sur leur provenance et sur la raison de leur présence, et parfois de leur absence. Nul doute, nous aimons l’hiver! Et vous? N’hésitez pas à nous partager une de vos expériences hivernales en commentaire sous cet article.
