Par Pierre André et Luc Laberge, Les Branchu
Avec des photos de Myreille Bachand et Luc Laberge
Quel étrange Anatidé que le Canard branchu. Il figure parmi les plus beaux canards du Québec. On craignait sa disparition et le voilà très abondant. Il peut se tenir debout sur une branche. Le couple niche haut dans les arbres. Les oisillons quittent le nid peu après leur sortie de l’œuf en exécutant un véritable saut de la mort. Apprenons ensemble à mieux le connaître.
En 2015, pour la première fois, le Canard branchu remplaçait le Canard noir au second rang des Anatidés les plus abondants dans les Basses terres du St-Laurent. Alors qu’au début des années 1900, les experts craignaient sa disparition, la population totale de Canard branchu en Amérique du Nord est aujourd’hui estimée à 4,6 millions d’individus, et le nombre de couples reproducteurs dans les BTSL à plus de 4 300 (SCF, Situation des populations d’oiseaux migrateurs considérés comme gibier au Canada, nov. 2015). Le succès de ce rétablissement est attribué dans un premier temps à l’adoption, en 1916, de la Convention pour la protection des oiseaux migrateurs aux États-Unis et au Canada. Cette entente interdisait la chasse ou en limitait la période et les prises. Plus récemment, la protection et l’aménagement de milieux humides ainsi que la mise en place d’un réseau de nichoirs ont joué un rôle indéniable dans l’augmentation locale ou régionale de leurs effectifs.
Le nom scientifique du Canard branchu, Aix sponsa, signifie « oiseau aquatique en vêtement de mariage ». Le mâle flamboyant attire l’attention. La femelle, plus sobre, n’est pas en reste car elle est considérée comme l’une des plus belles de tous les canards barboteurs.
Les membres du couple se distinguent facilement. Le mâle a la base du bec et l’œil rouge, une partie de la tête vert iridescent, deux teintes de brun, du bleu, du noir, du violet et de belles lignes blanches. Il arbore une huppe verte qui surplombe sa tête formant une crête. La femelle a le tour de l’œil blanc avec une trainée vers l’arrière, l’œil brun-noir, le bec bleu-gris foncé, une crête (moins accentuée que chez le mâle) brunâtre ainsi que la gorge et le menton blanc. Des lignes discontinues de tirets blancs tapissent sa poitrine et ses flancs brun-gris. Son dos est brun olive.
Le couple niche dans les cavités naturelles des arbres, dans d’anciens nids de pics ou dans les nichoirs spécialement conçus à son intention. Au printemps, la femelle guide le mâle à la recherche du lieu de nidification, cette fidélité au site étant peu présente chez lui. La plupart retournent nicher dans la même région que l’année précédente, souvent dans la même cavité.
Le trou choisi se situe entre 1,5 et 15 mètres du sol. La femelle arrondit le fond de la cavité comme une soucoupe, le couvre de sciures ou de copeaux de bois et le tapisse de duvet qu’elle extirpe de sa poitrine. Ce nid accueille de 6 à 16 œufs blanc-beige, pondus au rythme d’un par jour. L’incubation commence au terme de la ponte. La femelle couve seule les œufs durant presqu’un mois et l’éclosion s’étale sur environ 2 jours.
Étrangement, une cane branchue couve régulièrement plus d’œufs qu’elle n’en pond. Lorsqu’elle s’absente du nid pour aller s’alimenter, ce qu’elle fait en moyenne 2 fois par jour, d’autres vont y pondre à son insu. Le nid est alors qualifié de nid de dépôt. Baldassarre, dans Ducks, Geese and Swans of North America (Johns Hopkins University Press, 2013, vol. 1, p.271) fait état de l’intrusion de 4 à 8 femelles branchues parasitant un même nid en l’absence de la principale intéressée. La forte densité d’œufs qui en résulte nuirait au succès de l’éclosion. Le parasitisme interspécifique existe aussi, le Harle couronné pouvant utiliser la même stratégie. Les nids parasités comptent plus de 16 œufs.
Aux premiers jours de leur naissance et quand tous les œufs sont éclos, les canetons sautent en bas du nid après que la femelle ait vérifié les environs et donné le signal du départ. Ces intrépides qui sautent dans le vide rebondissent sur le sol ou sur l’eau. Même en chutant de 15 mètres, très peu d’entre eux se blessent. Puis, guidés par leur mère, les canetons marchent maladroitement vers le milieu humide (étang, marais…) où ils croîtront. Durant cette période de croissance, ils luttent pour leur survie, tentant d’échapper aux prédateurs comme les brochets, le Grand héron et la Buse à épaulettes qui n’attendent que l’occasion de les capturer. Les survivants s’envolent vers l’âge de 56 à 70 jours.
Cette courte vidéo produite par National Geographic TV vous permettra d’admirer les canetons qui, au signal donné par leur mère, sautent aveuglément dans le vide.
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Une façon de contribuer au développement du Canard branchu est de procéder à l’installation de nichoirs, ce que font plusieurs clubs d’ornithologie du Québec. Baldassarre fait état d’un succès d’éclosion supérieur dans les nichoirs en comparaison de celui observé dans les cavités naturelles. Ceci s’expliquerait par le fait que la plupart de ces cabanes sont munies d’un dispositif de protection contre les prédateurs.
Au Québec, quelques exemples permettent d’apprécier le succès de telles initiatives. Mme Jenny Guillemette (La Bande à Branchus, décembre 2010, www.maisondumarais.org), dans sa compilation de l’occupation de 968 nichoirs utilisés en 2009, faisait état d’une occupation par le Canard branchu de 25 % d’entre eux avec une moyenne de 6,2 œufs par nichoir. Elle rapporte également que 49 des 408 nichoirs occupés étaient parasités par plus d’une espèce. Mme Manon Guglia est responsable des 9 nichoirs du Marécage Tylee, situés sur les rives de la rivière des Mille Îles à Rosemère. Pour 2014, elle fait état de l’occupation par le Canard branchu de 6 des 9 installations. Lors de leur nettoyage, 82 membranes, 13 œufs non-éclos et aucun mangé par un prédateur ont été dénombrés. Chaque membrane correspondant à un œuf éclos. Pour 2015, dans les 7 nichoirs occupés, elle fait état de seulement 17 membranes, 13 œufs non-éclos et 10 victimes de prédation.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’insuccès de l’éclosion. Baldassarre en mentionne quelques-uns: (1) une température insuffisante durant la couvaison, (2) le dérangement anthropique ou animal au cours de l’incubation, (3) le parasitisme intra ou interspécifique et (4) la prédation des œufs par les ratons-laveurs et les écureuils.
Par ailleurs, les nichoirs à Canard branchu sont parfois convoités par d’autres espèces dont le Garrot à œil d’or, le Harle couronné, le Tyran huppé, l’Hirondelle bicolore, le Pic flamboyant, l’Étourneau sansonnet, le Quiscale bronzé, la Crécerelle d’Amérique et le Petit-duc maculé.
Comment le Canard branchu aux pattes palmées peut-il bien se percher dans les arbres? C’est grâce à ses pattes qui sont munies de griffes acérées. Ainsi équipé, il fait partie d’un petit groupe d’Anatidés arboricoles qui inclut le Harle couronné, le Grand harle, les Garrots et, pour ceux d’entre vous qui aimez l’exotisme, le Dendrocygne à ventre noir et le Canard mandarin.
Finalement, le Canard branchu n’est peut-être pas le seul à vivre dans les arbres et à imposer le grand saut à ses petits. Il n’est pas aussi le seul à avoir profité de l’adoption de la Convention sur les oiseaux migrateurs. Mais il restera toujours le plus beau, l’unique « oiseau aquatique en vêtement de mariage ».
P.S. Nous tenons à remercier chaleureusement Mme Manon Guglia de nous avoir si gentiment transmis l’information sur le succès des nichoirs dont elle assume la responsabilité à Rosemère.
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