Texte et photos de Pierre André, biologiste
Ah l’expérience inusitée que nous avons vécue! Lundi le 28 mai 2018, l’impact d’oiseaux heurtant la fenêtre côté nord de la maison ancestrale de 1869 que nous avions louée à Port-au-Persil, attira notre attention. La journée était très venteuse. Après inspection des abords de la maison, je n’ai pu trouver les oiseaux. Ils avaient dû reprendre rapidement leur esprit et poursuivre leur chemin. Cependant, quelle ne fut pas notre surprise de constater que des dizaines de parulines défilaient à un rythme d’enfer, poussées par le vent, à la hauteur du hangar visible de la maison. Elles défilaient quasi à l’horizontale, à une vitesse remarquable en direction sud-ouest. Les volées de 3 à 15 individus se succédaient au rythme de 2 à 3 par minute. Et cela a duré des heures. Nous en avons rapporté sur notre feuillet eBird plus de 500 observés en trente minutes. Il pleuvait littéralement des parulines.
Nous avons alors décidé de partir à leur recherche. Ces parulines devaient bien se concentrer au sol quelque part. Nos recherches nous ont conduits au pied de la cascade située près du quai de Port-au-Persil. Les parulines étaient partout : sur la pelouse, sur les rochers, dans les arbustes, dans les arbres, sur les chemins, au bord de l’eau… Après 5 heures d’observation, nous avions identifié 145 individus appartenant à 17 espèces différentes de Parulidés, un record pour Johanne et moi.
Les espèces que nous avons observées : les parulines tigrée et à poitrine baie (25 individus chacune), à gorge orangée (20), à croupion jaune (14), obscure (10), à tête cendrée (10), flamboyante (8), du Canada (5), à calotte noire (4), bleue (4), à joues grises (4), couronnée (4), à collier (3), rayée (3), à gorge noire (2), à flancs marrons (2) et jaune (2).


Si nos attentes d’ornithologue amateur furent comblées, d’autres personnes ont vécu une expérience moins agréable. La radio locale CIHO-FM a rapporté de fortes mortalités aviaires près des maisons, à St-Siméon notamment. L’article souligne également que les résidents s’interrogent sur les causes de la mort de ces dizaines de parulines trouvées au pied de leurs fenêtres. Une petite famille, les St-Aubin – Mathon avec qui nous avons échangé le 29 mai sur le quai de Port-au-Persil, nous rapportait une situation similaire à leur maison de St-Fidèle. Enfin, nous avons observé quelques carcasses de parulines au bord de la route.

Comment expliquer le phénomène que nous avons observé?
Le 28 mai dernier, le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie, la Côte-Nord et Charlevoix ont été l’objet d’un phénomène migratoire exceptionnel. Pour Pascal Côté, directeur de l’Observatoire des oiseaux de Tadoussac (OOT), « C’est probablement le plus gros mouvement de passereaux néotropicaux jamais enregistré en Amérique du Nord » (Le Soleil). Ian Davies, un ornithologue aguerri du Cornell Lab of Ornithology, rapportait depuis Tadoussac:
« As far as we are aware, it’s three times the number of warblers that anyone has ever seen at a location anywhere. It was basically a river of warblers. All heading southwest. » (NY Times).
Je vous invite à lire son commentaire sur son feuillet eBird qui traduit bien sa joie et son étonnement.
Les biologistes ont avancé quelques facteurs qui se sont conjugués pour donner ce phénomène. D’abord, pour le biologiste Hugues Deglaire de St-Ulric, le temps froid des jours précédents la semaine du 28 mai aurait retardé la migration de ces oiseaux qui rappelons-le, sont essentiellement insectivores (ICI Radio-Canada.ca). La paruline à gorge orangée (photo ci-dessous) a d’ailleurs beaucoup travaillé pour manger ce ver. Si elles étaient arrivées plus tôt, les parulines n’auraient probablement pas trouvé la nourriture nécessaire pour récupérer après la migration.

Ensuite, un vent favorable du sud-ouest, dans la nuit de dimanche à lundi, « a drainé les parulines vers le nord-est », souligne Pascal Côté de l’OOT (Le Soleil). Les radars-météo (voir BirdCast pour ces dates) avaient d’ailleurs prédit ces importants mouvements.
Enfin, l’épidémie de tordeuses des bourgeons de l’épinette qui sévit au Québec et au Nouveau-Brunswick a fourni en 2017 une nourriture abondante à certaines espèces de parulines qui auraient alors pondu, selon les propos de Marc-André Villard, entre 7 et 8 œufs, soit le double d’une couvée normale (Ibid.). D’ailleurs, ce professeur associé de l’UQAR fait remarquer que les parulines dominantes des derniers jours sont dites « à tordeuses » (Ibid.). Il s’agit des parulines tigrée, à poitrine baie et obscure (voir La Semaine verte sur le sujet).
Sous ces conditions optimales pour leur vol de nuit, à une altitude de 1000 à 1200 mètres, portées par le vent et leurs battements d’ailes, les parulines auraient été emportées trop loin, ce qui les auraient amenées à effectuer, cette fois de jour, une correction migratoire vers le sud-ouest, explique Pascal Côté (Le Soleil).
Le même lundi 28 mai, des observateurs de l’OOT en poste au quai de la Pointe-à-John (Les Bergeronnes) ont dénombré 183 000 parulines entre 5h00 et 16h00. Leur feuillet eBird est éloquent. Les nombres de Parulines non identifiées rapportés par Laetitia Desbordes, observatrice, entre le 27 et le 31 mai, permet de constater le synchronisme remarquable du phénomène :
27 mai | 28 mai | 29 mai | 30 mai | 31 mai | |
Parulines sp. | 20 | 183 832 | 21 660 | 21 | 224 |
Pour mieux comprendre les corrections migratoires
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la migration des parulines se passe la nuit. La correction migratoire, elle, s’est déroulée durant la journée. Les gens de l’OOT documente des corrections migratoires depuis 10 ans. En 2018, l’OOT s’est investi plus systématiquement à son étude en appliquant un protocole standardisé d’observation. Comme l’OOT souhaite poursuivre ses efforts printaniers en 2019, cette fois avec des fonds qui lui permettraient de mieux faire, il a lancé une campagne de socio-financement. Cliquez ici pour en savoir plus.
En conclusion
De cette abondance momentanée, il ne faut pas conclure que les populations de parulines se portent dans l’ensemble bien. Toutes les études publiées récemment rapportent un déclin des oiseaux chanteurs. Ce que nous avons pu observer est le résultat d’une conjoncture d’événements : retard dû au froid, conditions de vent en altitude favorables, correction migratoire importante et abondance des « parulines à tordeuses ».
Cette journée restera dans ma mémoire et celle de Johanne longtemps. Jamais nous n’aurons vu autant de parulines en un même lieu et un même jour. Quelle chance nous avons eue!
Remerciements
Merci à Marie-Andrée Desgagnés de m’avoir fait suivre le lien vers l’article de CIHO-FM.
Intéressant à lire. Sarah Delisle qui fait du baguage d’oiseaux à Rimouski capture aussi beaucoup de parulines.
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