Bonjour, bonjour, les hirondelles

Par Pierre André, Les Branchu – SBM

Avec des photos de Luc Laberge

C’est en 1938 que Charles Trenet (1913-2001) compose Y’a d’la joie. Il est clair qu’il aimait les hirondelles, à tel point qu’il en parle dans son rêve. Car, bien que cette œuvre fasse preuve d’optimisme et de surréalisme, il l’a écrite pour se donner du courage alors que, démotivé, il faisait son service militaire. Les hirondelles font parties de nos rêves, mais aussi de nos cauchemars. Leur situation précaire demande toute notre attention, d’où l’engagement du Regroupement QuébecOiseaux à investir les fonds récoltés dans le cadre du Grand Défi 2016 à leur protection. Dans ce blog, je traiterai de deux espèces d’hirondelles, bien que toutes soient dans une situation alarmante.

HIRONDELLE RUSTIQUE (Hirundo rustica) (photo à la Une)

L’Hirondelle rustique, anciennement nommée l’Hirondelle des granges, obtient en 2011 le statut d’espèce menacée en vertu de la Loi fédérale sur les espèces en péril (consulter le registre sur cette espèce). Les experts estimaient alors la population canadienne à près de 4,9 millions d’individus, dont environ 1,5 millions au Québec. De 1970 à 2009, le déclin à l’échelle nationale fut de l’ordre de 76 %, pour une perte annuelle moyenne de 3,6 % et à l’échelle provinciale de 2,4 % (données ÉPOQ)(Figure ci-dessous tirée de Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC 2011).

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Bien que les causes de cette baisse importante des populations ne soient pas claires, diverses hypothèses peuvent être avancées. Il y a d’abord la perte d’habitats propices à sa nidification et à son alimentation. Ces pertes s’expliquent par la destruction des granges et autres charpentes en bois, l’intensification de l’agriculture et la croissance de l’élevage hors-sol qui retire à l’hirondelle la disponibilité de prairies (www.hirondelles.oiseaux.net). Ensuite, les experts ont constaté une diminution généralisée des populations d’insectes dont la Rustique se nourrit. Enfin, les perturbations climatiques accroissent la mortalité des adultes et des jeunes, soit directement lors des migrations, soit indirectement en réduisant la disponibilité alimentaire quand les besoins sont importants, tel que lors de la phase de croissance des oisillons. Il ne faut pas négliger également les modifications de l’utilisation du sol, la pollution et l’usage de pesticides interdits au Canada mais toujours utilisés dans son aire d’hivernage en Amérique du Sud (les oiseaux hivernants dans cette région présentent les déclins de population les plus élevés depuis 1970). Il y a aussi la compétition interspécifique, notamment avec le Moineau domestique dont la femelle peut tuer les hirondeaux pour s’approprier le nid.

Il s’agit ici d’hypothèses, les causes réelles du déclenchement de cette décroissance vers le milieu des années 80 et de sa persistance dans le temps ne sont pas connues. Et il est plus que probable que la réponse soit plurifactorielle.

HIRONDELLE BICOLORE (Tachycineta bicolor)

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Les experts estiment que la population d’Hirondelle bicolore au Canada se situe entre 50 et 500 millions d’individus. Entre 1970 et 2012, la population a baissé d’environ 45 % pour une perte moyenne annuelle de 1,4 %. Pour la même période, la région des Grands-Lacs inférieurs et de la Plaine du St-Laurent a subi un déclin annuel de l’ordre de 0,9 %, mais la chute de l’indice BBS (Bird Breeding Survey) est particulièrement marquée de 1996 à 2010. Pour le Québec, Rioux et ses coll. ont publié un graphique qui illustre l’importance du déclin (figures tirées d’Environnement et changement climatique Canada 2015 et de Rioux et coll. 2014).

Cette décroissance populationnelle s’observe sur le taux d’occupation des nichoirs qui est passé de 73,5 % en 2005 à 54,3 % en 2011, une situation inverse à celle que l’on retrouve sur la côte Ouest, comme l’ont observée Shutler et ses coll. en 2012.

Au Québec, cette décroissance joue sur la distribution de l’espèce. Dans un article comparant les données provisoires des deux Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, Gaétan Duquette rapporte que l’Hirondelle bicolore se retrouve sur 17 % moins de parcelles en 2010-2014 qu’en 1985-1990 (Québec Oiseaux, été 2015, p. 18).

La situation dans laquelle cette espèce se trouve aujourd’hui nous semble plus alarmante qu’il ne paraît. Les travaux menés depuis une douzaine d’années par une équipe de biologistes de l’Université de Sherbrooke sont éloquents.

  • Entre 2005 et 2011, les femelles d’Hirondelle bicolore, qui pèsent environ 20 grammes, ont perdu 8 % de leur masse corporelle, et les mâles 2 % (Rioux-Paquette et coll. 2014). Compte tenu que l’Hirondelle est insectivore et vit en milieu rural, les chercheurs se sont demandé si la pratique de l’agriculture intensive pouvait en être la cause, en particulier en raison d’une modification dans la disponibilité alimentaire.
  • La pratique de l’agriculture intensive semble avoir une incidence non négligeable sur l’Hirondelle bicolore et les autres insectivores aériens. Par agriculture intensive, les chercheurs réfèrent à des changements des pratiques agricoles avec drainage amélioré des terres, retrait des haies séparatrices, augmentation de l’usage des engrais et des pesticides ainsi que des plantations et des récoltes plus hâtives (Rioux Paquette et coll. 2013). L’effet possible des néonicotinoïdes demeure à explorer, comme l’a souligné le professeur Marc Bélisle lors d’une entrevue donnée à Sophie Payeur en 2013.
  • Les boulettes que régurgite l’Hirondelle bicolore pour nourrir ses petits sont composées à 33 % de Diptères, un ordre d’insectes qui comprend entre autres les moustiques, les mouches et les moucherons. L’abondance et la biomasse des proies varient selon la saison (Rioux Paquette et coll. 2013).  Les milieux sous culture intensive et non intensive affichent des valeurs similaires en début de saison, mais qui s’écartent progressivement au fil des semaines. Cette situation pourrait créer un piège écologique (ecological trap) pour les insectivores aériens. Ainsi, les adultes choisissent leur lieu de nidification alors que tous les sites sont de qualité similaire. Cependant, durant les périodes d’élevage des oisillons et des jeunes, la différence entre les milieux s’accroît, laissant les couples ayant niché en milieux d’agriculture intensive, piégés dans des habitats de moindre qualité.
  • Les milieux où l’agriculture intensive se pratique influent sur la défense immunitaire des femelles. Une faible disponibilité alimentaire combinée à un habitat de moindre qualité requiert plus d’énergie de leur part pour maintenir leur système immunitaire. Cependant, les oisillons ne subiraient pas cet effet, la femelle dépensant l’énergie supplémentaire requise pour répondre à leurs besoins.
  • L’agriculture intensive a aussi une incidence sur le nombre d’œufs par couvée (Pellerin et coll. 2016). Par ailleurs, en tenant compte de la variation dans le poids des femelles, les chercheurs ont mis en évidence une relation compensatoire (trade-off)entre la taille des couvées et le poids des œufs qui les composent. Plus la taille de la couvée est petite, plus le poids des œufs est grand.

La cause de la baisse importante des populations tout comme celle du poids des femelles demeure inconnue. L’incidence serait vraisemblablement multifactorielle, mais les modifications des pratiques agricoles en faveur de l’intensification des cultures semblent jouer un rôle important. Pour mieux saisir et comprendre la situation, il convient de mener des études sur l’ensemble du cycle annuel de l’Hirondelle, ce qui inclut ce qui se passe sur les aires d’hivernage, sur les routes migratoires et sur l’aire de reproduction.

Conclusion

Ce déclin n’est pas unique aux populations d’hirondelles. Il frappe l’ensemble des insectivores aériens (État des populations d’oiseaux du Canada 2012). Pour ce groupe, la chute drastique se chiffre à 70 % de la situation qui prévalait en 1970 dans la région au Sud du Bouclier et des Maritimes. Et la situation n’est pas unique au Canada, elle est mondiale. Le Regroupement QuébecOiseaux a bien fait de choisir d’investir dans des projets pour protéger les hirondelles. Comme le Fou chantant, rêvons qu’elles seront présentes encore longtemps dans le ciel par-dessus le toit

Sources

Duquette, G. 2015. Atlas des oiseaux nicheurs du Québec. Des gagnants et des perdants. Québec Oiseaux 26, été, p. 14-19.

Environnement et Changements climatiques Canada 2015. Situation des oiseaux au Canada – 2014. Hirondelle bicolore.

Payeur, S. 2013. Le cri de l’hirondelle bicolore, Université de Sherbrooke, Médias, 19 juin 2013.

Pellerin, S. et coll. 2016. The trade-off between clutch size and egg mass in tree swallows Tachycineta bicolor is modulated by female body mass. J. Avian Biology, 1 février 2016.

Rioux-Paquette, S. et coll. 2013. Seasonal patterns in Tree Swallow prey (Diptera) abundance are affected by agricultural intensification. Ecological Applications 23, 1, p. 122-133.

Rioux-Paquette, S. et coll. 2014. Severe recent decrease of adult body mass in a declining insectivorous bird population. Proc. Royal Society B, Biological Sciences, 21 mai 2014.

Shutler, D. et coll. 2012. Spatiotemporal patterns in nest box occupancy by Tree Swallows across North America. Avian Conservation and Ecology 7(1): 3.

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